Carnet 5 : Faire de son expérience un capital

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Dans le Carnet 4, j’ai avancé le fait qu’un coaching devait permettre à une personne de découvrir de nouvelles ressources renforçant la confiance en ses capacités et augmentant son « pouvoir d’agir ».

J’ai souligné également le fait que la première ressource d’un Sujet, c’est son expérience.

Or, force est de constater que très peu d’individus ont une réelle conscience de leur expérience et de sa valeur : celle-ci s’apparente plutôt à un puzzle éclaté d’où ressortent quelques faits saillants sur lesquels la mémoire s’est fixée en laissant dans l’ombre bien d’autres éléments qui font pourtant partie intégrante d’un gisement qui recèle nombre de « joyaux » et qui est tout simplement laissé en jachère.

Car tel est bien l’enjeu : comment faire de son expérience un véritable capital qui puisse servir les projets et les aspirations personnels ?

Pour cela, il existe un outil unique que j’ai eu la chance de découvrir à mon entrée dans la filière des Hautes Etudes des Pratiques Sociales en 1989.

Il s’agit de l’autobiographie raisonnée qu’Henri Desroche élabore dans les années 1970.

En tant que directeur de mémoire auprès d’adultes chevronnés, notamment dans le champ social, il conçoit un type d’entretien permettant de définir un projet de recherche adossé aux expériences les plus significatives de la personne.

D’un questionnement affiné au fil du temps, il en arrive à formaliser une grille dont l’apparente simplicité masque la puissance sur le plan opératoire.

L’ayant utilisée dès le départ dans ma pratique de coach, aussi bien en entreprise qu’auprès de particuliers, j’ai publié en 2012 aux éditions du Souffle d’Or un manuel d’utilisation de cet outil méconnu qui constitue une des clés d’une intervention réalisée dans une optique transpersonnelle.

Entre-temps, pour un motif de meilleure compréhension auprès de certains publics que le terme « autobiographie » inquiétait (certains n’avaient nulle envie de se livrer sur certains épisodes du passé), j’ai préféré utiliser la dénomination de « Grille expérientielle », puisqu’en fait telle est sa finalité : rassembler ce qui constitue un parcours de vie.

Le « génie » de Desroche (puisque lui-même postulait que chaque être humain possédait son propre génie) a été de proposer une grille qui permet à la fois d’organiser son expérience tout en mettant celle-ci à distance, comme un explorateur visualiserait la carte d’un territoire qu’il cherche à découvrir.

La trajectoire d’une personne, ainsi cartographiée, sans jugement positif ou négatif sur les évènements vécus, apparaît alors comme un capital unique avec la découverte de ressources dont la personne n’a pas conscience.

Autant dire tout de suite que la Grille expérientielle mobilisée dans une visée transpersonnelle diffère fondamentalement des histoires de vie intégrées dans la plupart des dispositifs d’orientation. Car la Grille expérientielle est d’abord et avant tout au service de la promotion d’un Sujet avant que d’être un outil permettant une meilleure insertion professionnelle et sociale, ce qu’elle est aussi.

Le travail sur la Grille expérientielle pourrait également s’apparenter à la technique de la « récapitulation » évoquée par Castaneda si ce n’est qu’il ne s’agit pas, dans la démarche élaborée par Desroche, de revivre les émotions et sentiments associés aux expériences passées mais au contraire de s’en tenir aux faits eux-mêmes.

Le travail sur la Grille expérientielle diffère donc d’une approche psychothérapeutique, ce qui n’empêche pas la puissance de ses effets sur le plan identitaire.

Au fil du temps, l’impact de ce travail sur les personnes, quelles qu’elles soient, m’interpellait. Par exemple, j’ai proposé cette approche auprès de femmes qui étaient sans emploi depuis de nombreuses années dans la région de Saint Quentin. Un certain nombre d’entre elles avaient travaillé dès leur plus jeune âge dans des filatures, et depuis la fermeture de celles-ci, se retrouvaient assujetties à de « petits boulots », déclarés ou non.

Je l’ai également utilisée auprès de jeunes surdiplômés qui avaient décroché un CDD de quelques mois dans une institution publique et dont la perspective était de redevenir demandeur d’emploi.

Ce qu’a permis à chaque fois le travail sur la Grille expérientielle (ce sont des interventions de 3 jours échelonnés sur un mois environ), c’est une redynamisation personnelle en lien avec l’apparition de nouvelles options liées à la reconnaissance de capacités révélées lors d’expériences passées.

C’est peu dire que ces personnes, jeunes ou plus âgées (au total, environ 80 stagiaires répartis dans des groupes de douze ou quinze pour chaque action), issues d’horizons très différents, avaient une image dégradée d’elles-mêmes et de leur situation.

Par ailleurs, leur espoir de voir leur position s’améliorer était très faible. Pourtant, à l’issue de la première matinée, les rires fusaient et la joie se lisait sur les visages.

Non pas que la Grille expérientielle soit un remède miracle, mais la métamorphose qui s’opérait chez beaucoup avait un nom : la réhabilitation de soi, le sentiment retrouvé d’être un Sujet unique et singulier, digne de considération, qu’elle que fût sa situation matérielle.

Ce résultat était-il lié au charisme du formateur ?

Non, il venait de la redécouverte de son parcours, de la diversité des expériences vécues et des obstacles surmontés, et au-delà, des capacités et des habiletés diversifiées que chacun avait mis en œuvre.

En effet, lorsqu’on regarde un parcours, il n’est pas de « petite » expérience ni de centre d’intérêt « dérisoire ». D’autant plus que c’est parfois dans des domaines de créativité qui n’ont jamais été reconnus par les proches et par l’environnement social que se situe la « passion », l’enthousiasme, cette énergie qui déplace les montagnes.

Réhabiliter un Sujet, c’est lui redonner sa dignité en le considérant dans l’entièreté de son expérience. C’est aussi, par là-même, lui donner la possibilité de se reconnecter avec des parties de soi où se love l’énergie de l’Etre, source inépuisable et toujours disponible, sans qui tout projet, d’insertion ou autre, a de grandes chances d’être voué à l’échec : comment espérer que quelqu’un qui se sent dénigré et possède une faible estime de soi puisse rebondir à partir de conditions matérielles souvent critiques, alors que la plénitude de ses moyens y suffirait à peine ?

Il est un autre aspect du travail sur la Grille expérientielle qui rejoint des avancées récentes en matière d’orientation professionnelle. Il s’agit de la prise en compte de la chance comme facteur objectif dans la gestion des transitions dont l’action peut être repérée et favorisée.

Plusieurs publications en font état : par exemple « Luck is no accident » (la chance n’est pas un accident) de J. Krumboltz et A. Levin, professeurs à l’université de Stanford et de Californie ou bien « The chaos theory of careers » (la théorie du chaos appliquée à la gestion de carrière) de R. Pryor et J. Bright, consultants et professeurs associés à l’Australian Catholic University.

Plusieurs éléments peuvent favoriser la chance : tout d’abord, le fait d’avoir une représentation élargie de ses compétences et de ses habiletés. Si une personne a conscience de ce qu’elle a développé tout au long de son parcours, elle sera plus encline à élargir son champ de recherche et à prendre des risques pour s’essayer dans un nouveau domaine.

Par ailleurs, saisir sa chance suppose aussi de se faire confiance et d’écouter sa « petite voix » qui se manifeste intérieurement alors qu’on lit une annonce ou à l’occasion d’une rencontre : cette « petite voix » qui dit « vas-y » ou « c’est ça » n’a rien d’irrationnel : c’est la connexion « naturelle » qui s’établit alors entre la personne et son « monde » et qui atteste de la relation singulière qui existe entre l’individu et l’univers.

Nier cette dimension revient à se couper les ailes et à se priver d’une force de propulsion essentielle. C’est une des spécificités du Coaching transpersonnel que de réintégrer cette possibilité dans le champ de conscience et d’action de la personne confrontée à la nécessité d’évoluer.

N.B. L’ouvrage que j’ai publié aux éditions du Souffle d’Or a pour titre : « La démarche autobiographique, une voie d’accomplissement ».

Carlos Castaneda est un auteur américain qui a publié plusieurs ouvrages qui rendent compte de son initiation par un Chaman Yaqui, Don Juan Matus.