« Il n’est d’autre bonheur pour l’Homme que de donner son plein » : j’avais trouvé cette dédicace d’Henri Desroche dans un exemplaire de son livre sur Paul Claudel paru en 1944. Pionnier de la formation d’adultes, c’est lui qui fondera plus tard le Collège coopératif de Paris puis le Réseau des Hautes Etudes des Pratiques Sociales dont je suis issu.
En fait, cette citation exprime ce qui se trouve au cœur du coaching transpersonnel, à savoir permettre à chaque adulte d’exprimer ses aptitudes et ses talents les plus singuliers.
Revenons rapidement aux années 1990, époque où émergent les pratiques de coaching en France. A ses débuts, le coaching suscite beaucoup d’interrogations : d’aucuns y voient le symptôme d’un délitement du lien social quand d’autres fustigent des adultes immatures qui éprouvent le besoin de se faire accompagner pour régler leurs difficultés, professionnelles ou personnelles.
Or le coaching marque une étape importante : dans un environnement de plus en plus soumis à des changements rapides, la personne en difficulté n’est plus considérée uniquement sous l’angle du « manque » ou des problèmes « psychologiques » (auquel cas on prescrirait une psychothérapie ou une consultation psychiatrique).
Le coaching offre une autre perspective : considérer que l’adulte est un être en développement qui possède des capacités inexprimées qui sont autant de ressources à sa disposition pour faire face aux défis auxquels il est confronté.
Du coup, la vision du « problème » à résoudre s’en trouve transformée : plutôt que de focaliser sur une incapacité, le coach et son client se concentrent sur les opportunités que recèle la situation, y compris lorsque les difficultés semblent presque insurmontables.
D’ailleurs, ce que révèle la pratique du coaching, c’est le fait que la dimension critique de certaines épreuves n’implique aucunement une résolution longue et difficile : parfois, le changement de perspective est à même de générer une transformation rapide.
Permettre à quelqu’un de mobiliser de nouvelles ressources est donc un enjeu central du coaching : mais quelles sont ces ressources ?
La première, c’est l’expérience de vie propre à chacun, dont la richesse ne se dément jamais, et à l’intérieur de celle-ci, les formations, académiques ou « sur le tas », qui ont permis d’acquérir des compétences dans un domaine ou un autre. A cela, il faut ajouter toutes les habiletés non conscientisées acquises au contact de l’environnement familial et social.
La seconde, qui est centrale dans l’approche transpersonnelle que j’ai conçue, est condensée dans le terme « Daïmon ».
Le Daïmon chez les Grecs est un esprit intermédiaire entre les hommes et les dieux. Socrate y fait référence au moment de son procès, lorsqu’il est accusé de ne pas honorer les dieux de la cité (en l’occurrence Athènes). Socrate réfute cette accusation en disant que depuis qu’il est enfant, une « voix » se manifeste à certains moments et influe sur ce qu’il est amené à faire, y compris, dit-il, pour des choses peu importantes. Cependant, elle ne le pousse jamais à agir (pour la petite histoire, dans la version de l’« Apologie de Socrate » de La Pléïade, le terme « Daïmon » est traduit par « démon » alors que chez Flammarion il devient « signe divin » !)
Voix et vocation ont une racine commune, « vocare », qui signifie « appeler ».
De quel « appel » s’agit-il, quelle est sa nature, et en quoi sommes-nous concernés par cet « appel » ?
Si cette question est rarement abordée en coaching, elle constitue au contraire une des clés de l’approche transpersonnelle… pour la bonne et simple raison qu’elle touche à un des mystères de la vie, à savoir la « nature » de l’être humain.
Il en est un qui a abordé cette dimension de l’expérience de manière radicale : c’est James Hillman, psychologue américain et ancien directeur de l’Institut Carl G. Jung à Zurich.
Il publie en 1997, « The Soul’s Code », le « code de l’âme » traduit en français par « Le code caché de votre destin » (sic), dans lequel il défend le fait que tout être humain naît avec un « double » invisible qui l’accompagne tout au long de son parcours et qui est, en quelque sorte, dépositaire de sa vocation, c’est-à-dire de sa « raison d’être ».
Hillman lui donne différentes épithètes à ses yeux interchangeables : akène, image, personnalité, sort, génie, vocation, daïmon, âme, destin, destinée… Son objectif est de ne pas se laisser enfermer dans une dimension religieuse restrictive, afin, dit-il, de mieux appréhender cette force énigmatique de la vie.
Pour lui, chaque enfant vient au monde avec une « intention » qui le définit, et le rôle du Daïmon est d’intervenir à certains moments de l’existence pour opérer ce « rappel à soi » salvateur, avec en toile de fond la question première : « Qui es-tu » ?
Pour Hillman, non seulement la personne est animée par une dynamique particulière qui correspond chez elle à l’expression d’une vocation au sens le plus large du terme (celle-ci peut en effet recouvrir différentes aptitudes et s’exprimer dans différents domaines), mais elle possède en outre à sa naissance des capacités innées en lien avec cette force d’attraction qui pourra, dans certains cas, prendre la forme d’une passion.
Ces « prédispositions » et talents innés ont d’ailleurs trouvé un début de réponse avec les travaux d’Howard Gardner sur les intelligences multiples menés à Harvard dans les années 1990. A partir d’un questionnement simple mais essentiel, « Qu’est-ce que l’intelligence ? », Gardner et son équipe identifient 9 grands types d’intelligence (la neuvième, l’intelligence existentielle, disparaît parfois de certaines grilles). Un de leurs critères-clés est l’identification, pour chaque intelligence, d’enfants prodiges, c’est-à-dire de sujets ayant manifesté très tôt des capacités qu’on ne peut référer ni à leur éducation ni à l’influence du milieu dans lequel ils évoluent.
Je pourrais également citer Jung qui, dans ses mémoires, utilise l’expression « personnalité N°1 et personnalité n°2 » pour illustrer ce qu’il a vécu dès son enfance, à savoir le sentiment que coexistent en lui 2 dynamiques qui s’opposent souvent. Mais, au bout du compte, c’est la personnalité n°2, celle qu’il n’avait perçue au départ que de manière fugitive, qui sera déterminante dans les choix les plus cruciaux de son parcours.
Alors, à quoi « sert » le Daïmon dans une démarche de coaching ?
J’ai l’habitude de dire qu’il représente le « Tiers secrètement présent » dont on ne connaît pas, à l’avance, le rôle dans la situation qui réunit le coach et son client.
Pourtant, notamment lorsque quelqu’un vit une transition importante, il est à prévoir qu’il est là « quelque part », cherchant à se manifester sous la forme d’une aspiration plus ou moins consciente ou à travers un évènement inattendu que Jung nomme « synchronicité ».
L’intégrer dans la démarche devient alors une nécessité, sinon il est possible que la solution apportée au problème ne soit rien de plus qu’une voie de garage dont la personne devra, un jour ou l’autre, trouver l’issue.
De quelle manière faire une place au Daïmon, avec quels « outils » : c’est ce que je me propose d’aborder dans de prochains carnets.